La délivrance des legs et le Code civil.
La délivrance des legs est une formalité prévue par diverses dispositions du Code civil, qui est fonction de la nature du legs et de la qualité des héritiers et légataires venant à la succession.
Hormis le cas où le défunt laisse uniquement à sa succession un légataire universel sans présence d’héritiers réservataires (le légataire doit ici entreprendre d’obtenir l’envoi en possession de son legs) ou encore le cas du légataire ayant également qualité d’héritier saisi de plein droit (évitant toute demande en délivrance), plusieurs articles du Code civil obligent formellement le légataire à obtenir la délivrance de son legs.
Quel est l’objectif de la demande en délivrance ?
La demande en délivrance est une formalité destinée à être accomplie avant la mise en possession du ou des biens légués (legs particuliers) ou de l’universalité ou faction d’universalité léguée (legs universels ou à titre universel).
Elle ne requiert aucune forme, de sorte que l’accord suite à une demande en délivrance peut être matérialisé de façon exprès (dans un acte écrit) voire encore tacitement.
Cette institution n’a aucunement pour finalité de rendre le légataire propriétaire du bien (il l’est depuis le décès) mais a pour objectif de faire acquérir au légataire la qualité de successeur saisi en permettant la vérification et la reconnaissance provisoire de son titre.
Dans le cas où la délivrance a été obtenue (amiablement ou judiciairement), elle permet au légataire d’exercer ses droits sur les biens successoraux (ou sur les biens transmis par legs) et, surtout, de lui permettre d’en avoir la jouissance.
L’arrêt ici commenté donne à nouveau l’occasion à la Haute cour de préciser le régime de la demande en délivrance et de rappeler quels effets sont attachés à la prescription de l’action en délivrance.
Les faits de l’espèce.
Au cours de l’année 2010, une personne décède et laisse à sa succession plusieurs enfants ayant la qualité d’héritiers réservataires.
La défunte prévoit dans son testament deux legs particuliers au profit d’un même bénéficiaire portant sur deux biens immobiliers distincts :
- Le premier bien légué porte sur un immeuble à usage d’habitation, déjà occupé gratuitement par le bénéficiaire du legs dès avant le décès du testateur ;
- Le second porte sur un local commercial, quant à lui déjà loué à un tiers et donnant lieu à versement de loyers) ;
Lors du règlement de la succession, les héritiers réservataires élèvent des contestations et saisissent le tribunal de plusieurs demandes.
En premier lieu, ils contestent là titre principal a validité du testament rédigé par leur ascendant. En second lieu, et à titre subsidiaire, ils considèrent que les biens légués à titre particulier portent atteinte à leur réserve héréditaire tout en invoquant la prescription de la demande en délivrance.
La position des juges d’appel.
La Cour d’appel de Rennes rejette l’action en annulation du testament. Elle doit alors statuer sur les demandes formées par les réservataires portant sur la délivrance des deux legs particuliers.
Par son arrêt du 1er juin 2021, les juges du fond rejettent très largement les demandes sur la question de la délivrance des deux legs particuliers ou, du moins, en limite considérablement ses effets s’agissant de la prescription.
D’abord, concernant l’appartement, la Cour d’appel estime que la jouissance antérieure du bien légué par le légataire le dispensait d’en solliciter la délivrance. En conséquence, elle juge qu’aucune indemnité d’’occupation n’est due à raison de l’occupation du bien par le légataire depuis le décès.
S’agissant ensuite du local à usage commercial légué à titre particulier (loué à un tiers), les juges constatent la prescription de la demande en délivrance (la demande du légataire ayant été formée judiciairement près de sept années après le décès) mais en limite ses effets dans la mesure où il est jugé que seuls les loyers perçus avant la demande (judiciaire) en délivrance sont prescrits, à l’exclusion de ceux nés postérieurement, lesquels sont considérés comme étant acquis au légataire.
Les héritiers légaux décident donc de former un pourvoi devant la Cour de cassation, lequel repose sur deux moyens distincts.
La délivrance de legs, une formalité à ne pas négliger…
L’annulation de l’arrêt d’appel par la Cour de cassation.
Dans un arrêt rendu le 21 juin 2023, la Cour de cassation casse sèchement l’arrêt de la cour d’appel de Rennes sur les deux moyens invoqués par les demandeurs au pourvoi.
En ce qui concerne la situation où le légataire est déjà en possession du bien légué antérieurement au décès du testateur, les Hauts magistrats jugent, sans détour, que le légataire (qui n’était pas ici saisi de plein droit) demeure tenu de solliciter la délivrance de son legs.
Se fondant sur l’article 1014 du code civil, les hauts magistrats précisent ainsi que :
« si le légataire particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès ».
La simple mise en possession du bien légué par le gratifié, serait-elle intervenue antérieurement au décès du disposant, ne dispense aucunement ce dernier de solliciter la délivrance auprès des héritiers, ici réservataires.
Une telle analyse des juges d’appel ne pouvait conduire ici qu’à la cassation, aucune délivrance tacite ne pouvait être caractérisée : les héritiers réservataires contestaient à titre principal la validité du testament.
Action en délivrance et prescription.
La Haute juridiction était également saisie d’un second moyen portant sur la question des effets juridiques attachés à la prescription de l’action en délivrance, tant en ce qui concerne la propriété de la chose léguée que des fruits nés depuis le décès.
Rappelons que le local commercial légué était ici donné à bail à un tiers et les loyers étaient perçus par le légataire depuis le décès.
Devant la cour d’appel, les héritiers réservataires soutenaient que l’action judiciaire en délivrance était prescrite en raison de l’écoulement d’un délai supérieur à 5 années à compter du décès (application de la prescription quinquennale de droit commun prévu par l’article 2224 du Code civil).
En conséquence, le légataire devait être considéré comme ayant perdu dès le décès la propriété du bien immobilier légué impliquant la restitution de tous les fruits perçus à compter de l’ouverture de la succession.
La Cour de cassation retient au visa des articles 1014 alinéa 2 et 2219 du code civil que :
« …lorsque l’action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée. »
Autrement dit, la Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence quant aux effets de la prescription de l’action en délivrance au regard de la propriété de la chose léguée (Cass. civ. 1ère, 22 octobre 1975, n°74-11.694 ; Cass. civ. 1ère, 28 janvier 1997, 95-13.835) et en tire les conséquences quant aux sort des fruits générés par le bien légué après le décès.
L’omission par le légataire de la délivrance de son legs : des effets dévastateurs.
On le remarque âprement : en cas de prescription de la demande en délivrance, le légataire se voit donc privé de la propriété du bien légué mais également tous les fruits qu’il aurait éventuellement perçus depuis le décès.
Dans cette dernière situation, le légataire est donc contraint de restituer aux héritiers (réservataires ou non) par le simple écoulement du délai de prescription, dont il faut souligner que la Cour de cassation n’est pas venue préciser explicitement quelle était sa durée. Elle semble toutefois confirmer qu’il s’agit bien d’une prescription quinquennale (de droit commun), ce qui va dans le sens des dernières réformes, à savoir vers un raccourcissement des délais pour agir en justice et faire reconnaître ses droits.
Morale de cette affaire : les légataires seront donc particulièrement avisés de saisir promptement le Tribunal d’une demande judiciaire en délivrance, ceci afin d’interrompre la prescription (article 2241 du Code civil) lorsque les démarches amiables viennent à se prolonger. En effet, à ce jeu, les héritiers légaux sont bien mieux armés…
Les conseils (notaires et avocats) seront, de leur côté, de très bon conseils en avertissant leur client légataire des enjeux ayant trait à la question de la délivrance, à peine de se voir confronter à l’exercice d’une action en responsabilité professionnelle.
Références : Cass. civ. 1ère, 21 juin 2023, n°21-20.396, Bulletin civil.
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Maître Romain JIMENEZ-MONTES, Avocat associé.
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Autres articles en droit des successions :
- Irrecevabilité de la demande en partage judiciaire d’une succession formée pour la première fois en cause d’appel : les arrêts se suivent et se ressemblent… (Cass. civ. 1ère, 18 mars 2020, n°18-25434)
- L’existence d’un partage amiable sur la totalité des biens successoraux exclut toute demande en partage judiciaire mais ouvre seulement droit au cohéritier d’introduire une action en nullité du partage ou une action en complément de part (Cass. civ. 1ère, 6 novembre 2019, n°18-24.332)