Les héritiers réservataires et la réserve héréditaire
Le législateur accorde aux héritiers réservataires visés par l’article 912 du Code civil la possibilité de recevoir des droits minimums dans une succession.
Cette quote-part minimale que peut revendiquer un tel héritier est connue comme étant la réserve héréditaire (qui est d’ordre public).
Afin de protéger toute libéralité excessive, la réserve héréditaire dont est titulaire l’héritier réservataire est protégé par loi française par l’exercice d’une action spécifique appelée l’action en réduction.
Cette action est, d’une part, facultative : Elle n’est pas de droit et doit donc être invoquée par son titulaire.
Elle est d’autre part divisible, de sorte qu’en présence de plusieurs (enfants) réservataires, chacun des héritiers peut ou non décider d’exercer l’action en réduction pour son compte.
Dit autrement, la loi française empêche le défunt de pouvoir exhéréder totalement ses enfants ou, à défaut, son conjoint survivant (sauf cas spécifiques, notamment dans un contexte international ou indirectement par le recours à la souscription d’une assurance-vie).
La libéralité excessive doit, sauf exception, pleinement s’exécuter
Quand bien l’action en réduction est fondée, cela ne veut pas dure que la libéralité excessive (c’est à dire celle déterminée comme dépassant la quotité disponible) ne doit pas entièrement s’exécuter.
Le(s) donataire(s) ou légataire(s) qui seraient débiteurs de l’action en réduction disposent de la faculté de recevoir pleinement la libéralité telle que le défunt l’avait souhaité (en pleine propriété, en démembrement).
En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, l’action en réduction a désormais lieu en valeur. une somme d’argent doit être réglée à l’héritier réservataire par le débiteur (donataire ou légataire).
Ce n’est que dans l’hypothèse ou le donataire ou légataire viendrait à demander la réduction en nature, sous certaines conditions visées par le code civil, que la libéralité ne peut alors s’exécuter pleinement.
La réduction en nature aboutit en pareil cas à une révocation partielle ou totale de la libéralité réductible.
Action en réduction et dispositions nouvelles résultant de la loi du 23 juin 2006
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, la prescription de l’action en réduction était de trente ans, en application de l’article 2262 du Code civil.
Depuis le 1er janvier 2007, date d’entrée en vigueur de ladite loi (soit pour toutes les successions ouvertes à compter de cette date), le délai de prescription a été enfermé dans plusieurs délais distincts.
Aux termes de l’article 921 alinéa 2 du code civil :
« (…) Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès. (…) »
Action en réduction et article 921 alinéa 2 du Code civil : Délais de prescription, points de départ du délai et délai butoir
L’alinéa 2 de l’article 921 du Code civil prévoit ainsi deux délais distincts de prescription (5 ans et 2 ans), un délai butoir (10 ans) et deux points de départ de l’action (décès et connaissance de l’atteinte portée à la réserve).
A la lecture de cet alinéa, et en dépit d’une interprétation quasi unanime de la Doctrine, les tribunaux ont dû se prononcer sur l’articulation des différents délais de prescription entre eux.
L’arrêt prononcé le 7 février 2024 vient donner un élément de réponse sur la lecture qu’il faut donner à la rédaction de l’article 921 du Code civil.
Les faits de l’espèce
Deux époux décèdent respectivement les 27 décembre 1989 et 30 juillet 2015, laissant pour leur succéder quatre enfants.
Trois d’entre eux assignent, le 14 mai 2018, leur frère en vue d’obtenir le partage des successions confondues de leurs parents( et de la communauté ayant existé entre eux).
A l’occasion de cette instance, ils forment également une demande en réduction de plusieurs libéralités et avantages dont aurait selon eux profité leur cohéritier.
L’héritier assigné soutient en défense que le délai de deux ans devait s’appliquer malgré l’absence d’écoulement du délai de cinq années à compter du décès.
L’arrêt de la Cour d’appel de Reims du 21 janvier 2022
Les juges d’appel décident de ne pas faire droit à la demande d’irrecevabilité de l’action en réduction tirée de la prescription au motif que le délai minimal de cinq ans, courant à compter de la date du décès, devait nécessairement être appliqué.
Mécontent de cette analyse, l’héritier saisit la Cour de cassation et soutient que l’interprétation de l’article 921 alinéa 2 du Code civil, qui prévoit seulement une alternative, n’implique pas que le délai de prescription quinquennal est un délai minimum.
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L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 février 2024
Par un arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle confirme la solution retenue par les juges d’appel, qui n’était autre que celle admise par la doctrine dominante.
Les juges du droit confirme que l’action en réduction est bien soumise à une prescription minimale de cinq années, dont le point de départ commence à compter du décès.
Elle ne saurait être réduite à un délai inférieur de deux ans dans le cas où l’atteinte à la réserve viendrait à être découverte à l’intérieur dudit délai de cinq ans.
Aux termes de l’arrêt commenté, les juges du Quai de l’Horloge retiennent, par une reformulation de la lettre de l’article 921 du Code civil, que :
« Il résulte de ce texte que, pour être recevable, l’action en réduction doit être intentée dans les cinq ans à compter du décès ou, au-delà, jusqu’à dix ans après le décès à condition d’être exercée dans les deux ans qui ont suivi la découverte de l’atteinte à la réserve .
Le moyen, qui, en soutenant que ces dispositions imposent, dans tous les cas, que le demandeur agisse dans les deux ans du jour où il a découvert l’atteinte à la réserve, postule le contraire, n’est donc pas fondé »
Un délai de prescription de l’action en réduction d’une durée minimale de 5 ans à compter du décès
Autrement dit, le délai visé par l’’article 921 al. 2 du Code civil est un délai minimal de prescription d’une durée de cinq années dont le point de départ court à compter du décès.
Postérieurement à ce délai, l’héritier réservataire peut néanmoins agir en réduction dans un délai de deux années, à compter du jour où il a eu connaissance de l’atteinte portée à sa réserve, sans que ce délai de dix ans ne puisse être dépassé (délai de forclusion).
Une décision emprunte de bon sens mais qui laisse en suspens plusieurs interrogations
Si cette décision, de bon sens, reste bienvenue (évitant que les praticiens se précipitent pour agir en réduction dans des délais très brefs), elle ne permet pas de répondre à toutes les questions, notamment sur l’articulation de deux prescriptions lorsque l’héritier réservataire découvre l’atteinte portée à sa réserve quelques temps avant l’expiration du délai quinquennal.
Quel délai appliquer en pareil cas ?
Elle ne répond pas non plus aux situations dans lesquelles l’héritier réservataire se retrouve confronté à une connaissance progressive, dans le temps, de l’atteinte portée à sa réserve.
Quel doit être ici le point de départ de la ‘connaissance par l’héritier de l’atteinte portée à la réserve’ ?
Dans bien des cas, le titulaire de l’action doit multiplier les efforts (notamment financiers) pour tenter d’obtenir des éléments de preuve lui permettant de caractériser l’existence de libéralités non ostensibles (très souvent largement dissimulées par le ou les gratifiés).
La découverte d’éléments nouveau peut avoir une incidence notable sur la liquidation définitive de l’indemnité de réduction (et sur l’opportunité d’intenter l’action en réduction) et sur l’identité du/des débiteur(s) de l’indemnité de réduction.
Réfs. : Cass. 1ère civ., 7 février 2024, pourvoi n°22-13.665, Bulletin.
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Maître Romain JIMENEZ-MONTES, Avocat associé.