La donation-partage depuis la réforme des successions (loi du 23 juin 2006).
La donation-partage a été largement repensée à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités. Elle constitue désormais un puissant outil à la disposition des familles pour transmettre leur patrimoine de façon anticipée, que ce soit au profit d’héritiers présomptifs (très majoritairement les enfants du donateur) ou au profit de descendants de degré différents (héritiers présomptifs ou non) dans le cadre d’une donation-partage transgénérationnelle (articles 1075-1 du Code civil).
Sur un plan fiscal, le recours à la donation-partage permet en principe d’éviter d’assujettir l’opération au droit de partage de l’article 746 du Code général des impôts, seuls les droits de donation étant ici exigibles – outre le coût de formalités complémentaires lorsque l’opération porte sur des droits réels immobiliers – pour autant que celle-ci soit réalisée dans un seul et même acte (BOI-ENR-DMTG-20-20-10, n°250).
Sur un plan civil, la donation-partage ne sera jamais rapportable entre les héritiers présomptifs, sauf requalification judiciaire de l’acte en donation simple (voir à ce propos les deux arrêts importants rendus par la Cour de cassation au cours de l’année 2013 : Cass. civ. 1ère, 6 mars 2013, n°11-21.892 ; Cass. civ. 1ère, 20 novembre 2013, n°12-25.681).
Elle permet également de figer ou cristalliser, au jour de l’acte, les valeurs des biens donnés si les conditions de l’article 1078 du code civil sont respectées, ce qui permet aux donataires de réduire les risques de toutes revalorisations des biens transmis dans le cadre du rappel fiscal des donations antérieures de moins de 15 ans (article 784 du code général des impôts).
La donation-partage consentie dans un seul et unique acte.
Bien souvent, la donation-partage procède d’un seul et unique acte : Le notaire en charge de recevoir l’acte porte d’abord sur une donation d’un ou plusieurs biens au profit d’héritiers présomptifs (avec ou sans lien de filiation) – tout en y associant parfois le conjoint (plus rarement un tiers si un bien concerne une entreprise ou des droits sociaux ainsi que l’envisage l’article 1075-2 du Code civil) -, et ensuite sur un partage des biens donnés entre les gratifiés.
Ce partage peut tout d’abord être envisagé comme étant égalitaire (les donataires se voyant soit attribuer des biens de valeur identique soit attribuer des biens de valeurs inégales où la stipulation d’une soulte (payable comptant ou à terme) viendra rétablir l’équilibre entre les lots.
Cette libéralité peut ensuite, mais beaucoup plus rarement, être envisagée de façon inégalitaire : En pareille situation, il reste en effet beaucoup plus difficile pour le disposant d’obtenir le consentement de l’ensemble des donataires.
Lorsque cette transmission est acceptée par tous, le gratifié lésé, réservataire n’aura plus que la possibilité d’envisager d’engager une action en réduction lors de l’ouverture de la succession du donateur (donation-partage simple) ou encore au décès du dernier des codonateurs (en cas de donation-partage conjonctive). En l’absence de consentement de tous, le donateur qui souhaite transmettre ne peut dès lors qu’exclure de l’opération les récalcitrants, ce qui est parfaitement autorisé (Cass. civ. 1ère, 4 novembre 1981, n°80-13.191).
Néanmoins, dans ce dernier cas, le recours à la donation-partage perd ici considérablement de son intérêt puisque l’article 1078 du Code civil ne pourra être appliqué.
La donation-partage consentie par actes séparés.
Ainsi que le prévoit l’alinéa 2 de l’article 1076 du Code civil, la donation-partage peut également avoir lieu par actes séparés, dans deux actes distincts.
Outre le fait que cette façon de procéder rend le droit de partage exigible lors de la réception de l’acte ultérieur (BOI-ENR-DMTG-20-20-10, n°250), le donateur peut en effet avoir gratifié dans un premier temps plusieurs de ses héritiers présomptifs au moyen de donations (toutes réalisées dans un seul et même acte, sauf à avoir recours à la technique de la réincorporation) et, dans un second temps, de répartir les biens préalablement donnés entre les héritiers présomptifs.
Le Code civil précise alors que le disposant doit intervenir aux deux actes, sans plus de précisions.
Pour autant, il résulte d’une jurisprudence désormais bien assise que le partage doit en pareil cas être réalisé sous l’autorité du donateur. En effet, il ne suffit pas que le donateur intervienne seulement au partage mais que celui-ci en soit à l’origine et résulte de ses directives.
Autrement dit, les parties qui envisagent de réaliser le partage au moyen d’un acte ultérieur doivent avoir conscience de l’exigence aujourd’hui imposée par la haute juridiction, à peine de subir les conséquences d’une disqualification en donation simple.
L’arrêt rendu le 12 juillet 2023 par la première chambre civile de la Cour de cassation est l’occasion de revenir sur cette délicate problématique.
La donation-partage par actes séparés et la délicate matérialisation de la volonté du donateur de répartir les biens donnés.
La donation-partage par actes séparés doit conduire les intéressés à ce que le partage, réalisé par un acte ultérieur, soit réalisé sous l’autorité du donateur et en sa présence.
Or, diverses situations peuvent conduire les tribunaux à devoir examiner, dans le cadre d’un conflit successoral, si cette volonté répartitrice du donateur est ou non présente, quand bien même ce dernier soit partie intervenante à l’acte ultérieur.
Le présent arrêt commenté est l’occasion de s’appesantir sur cette délicate problématique.
Le conflit successoral de l’espèce.
Par acte du 7 novembre 1995, une personne consent au profit de ses trois enfants une « donation-partage anticipée ». L’acte authentique reçu par notaire attribue d’une part à la fille la pleine propriété de quatre biens mobiliers et d’autre part à ses deux fils reçoivent la nue-propriété de la moitié indivise d’un immeuble.
Selon acte du 17 janvier 2008, l’un des deux fils cède à son frère sa quote-part en nue-propriété du bien immobilier reçu par l’acte du 7 novembre 1995, en présence du donateur, lequel consent à la vente tout en renonçant au bénéfice de son action révocatoire et à l’exercice du droit de retour.
Suite au décès du donateur, les héritiers ne parviennent pas à régler amiablement la succession.
La fille du défunt invoque en justice que les deux actes authentiques litigieux de 1995 et 2008 ne peuvent être considérés comme valant donation-partage par acte séparés. Elle considère que l’acte de 1995 s’analyse en une donation simple, ce qui implique à l’ensemble des gratifiés de devoir rapporter les libéralités reçues dans le cadre de la liquidation civile (article 860 du code civil).
L’arrêt du 26 mai 2021 rendu par la Cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel de Paris a été sensible à l’argumentation de la fille.
Elle considère en premier lieu que l’acte du 7 novembre 1995 ne peut être analysée comme étant une véritable donation-partage dans la mesure où cet acte n’attribue que des droits indivis à deux des trois gratifiés.
L’acte du 17 janvier 2008 ne permet pas non plus d’être assimilé à l’acte ultérieur dans le cadre d’une donation-partage par actes séparés, au sens de l’alinéa 2 de l’article 1076 du Code civil.
En effet, les juges du fond considèrent que cet acte, bien qu’il ait eu pour effet d’attribuer des droits divis entre les deux fils gratifiés (et donc de faire cesser l’indivision sur les biens donnés), ne permet pas de démontrer que le donateur en ait été à l’initiative ni que le partage ait été réalisé sous sa médiation.
Tirant les conséquences de ce qui précède, les juges d’appel requalifie l’acte de 1995, faussement qualifié de donation-partage, en donation simple, ce qui a pour effet d’obliger les cohéritiers à devoir rapporter les biens donnés, au jour le plus proche du partage selon leur état au jour de la donation (et non au jour de l’acte du 17 janvier 2008).
Les deux fils gratifiés insatisfaits décident de saisir la Cour de cassation.
La confirmation de l’analyse des juges d’appel par la Cour de cassation.
Dans un arrêt publié du 12 juillet 2023, la Haute cour confirme pleinement les juges de la Cour d’appel de Paris.
Elle réaffirme que l’acte ultérieur à une donation-partage par actes séparés doit résulter de l’autorité du donateur quant à la répartition des biens initialement donnés.
La Cour de cassation énonce clairement que :
« Il résulte des articles 1075 et 1076, alinéa 2, du code civil que la donation-partage, même faite par actes séparés, suppose nécessairement une répartition de biens effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction et avec son concours »
La seule participation du donateur à l’acte ultérieur – ici l’acte de cession de quote-part de droits indivis –ne permet pas à lui seul de matérialiser le rôle central du donateur dans la répartition matérielle des biens transmis antérieurement.
Bien que cette rigueur paraisse aller au-delà de l’article 1076 alinéa 2 du Code civil, la Cour de cassation exige aujourd’hui très clairement des professionnels (notaires) à se conformer aux principes essentiels applicables pour les donation-partage effectuées en deux temps.
L’autorité du donateur sur la répartition des biens dans l’acte ultérieur : La question de l’efficacité de l’insertion d’une clause contractuelle.
La donation-partage par actes séparés, si elle est expressément envisagée par le législateur, doit désormais être murement réfléchie au regard des dernières décisions rendues par la Cour de cassation (cf. décisions de 2013, citées supra).
L’attention des gratifiés sur un risque éventuel de requalification de l’opération doit être clairement soulignée ainsi que sur ses conséquences civiles.
La volonté du donateur de répartir ses biens entre plusieurs gratifiés restés en indivision notamment suite à une ‘fausse donation-partage’ – comme cela était fréquemment envisagé dans la pratique notariale avant les arrêts rendus en 2013 par la Cour de cassation – peut être difficile à établir de manière certaine.
Pourrait-il être envisagé dans l’acte ultérieur d’insérer une clause particulière afin de mettre en avant la volonté première du donateur quant à la répartition des biens indivis antérieurement donnés ?
Si cela reste une possibilité, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que les juges du fond donneront à des clauses de cette nature une portée absolue, ces derniers ayant la possibilité de les considérer inefficace dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation.
Tout sera sans doute affaire de circonstances à l’occasion de contentieux successoraux exacerbés.
Réfs. : Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°21-20.361, à paraître au Bulletin.
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Maître Romain JIMENEZ-MONTES, Avocat associé.